Saint-Jean-Pied-de-Port

SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT

     Longtemps, je me suis levé de bonne heure et ce matin plus encore, et du mauvais pied, le droit. Je sais que j'aurais dû dire, ou écrire du pied gauche, comme tout le monde, mais qui dit que tout le monde dit ça ? J’écris ce que je veux (tant pis pour vous) et je fais ce que je veux de mes pieds, surtout pour écrire en prose. Si j'estime que mon pied droit est le mauvais à ce moment-là, c'est mon droit de l'estimer, et d'estimer autant la gaucherie de mon pied droit que la maladresse de mon pied gauche. Arrêtez de m’embrouiller, là n'est pas le sujet…

     Il y a quelques temps, alors que j'étais allé, comme d’habitude, travailler à vélo, je me suis fait mettre à pied. Oui, on m'a convoqué au bureau. Inutile de vous dire que j'étais dans mes petits souliers. Pour me défendre, j'ai argumenté et lutté pied-à-pied. J'ai eu beau faire des pieds et des mains, j'étais pieds et poings liés par des jaloux qui me talonnaient et étaient en cheville avec la direction.

 

     Par malchance, j'avais un rendez-vous le soir-même, un date comme on dit maintenant, mais je dis pas, parce que c’était un mercredi. J'avais l'impression que la fatalité me faisait un pied-de-nez. Je me suis malgré tout habillé de pied-en-cap pour trouver chaussure à mon pied. J'ai fait le pied de grue pendant une demi-heure à l'entrée du restaurant avant de voir arriver mon invitée. Je savais déjà qu'elle s'appelait Pierrette et que son état de couturière en faisait une experte du pied-de-biche.

     Comment lui dire la vérité dès la première rencontre ? Je ne lui avais pas menti quand la veille je lui avais dit que je vivais sur un grand pied, que je venais de signer l’achat d’un pied-à-terre à Saint-Jean-Pied-de-Port. Mais maintenant quelle vie lui offrir, sans emploi, si je ne savais pas le payer ? Ou bien avoir le ventre vide dans un plain-pied, autrement dit l’estomac dans les talons ? Ce serait le comble ! J’avais honte, j’aurais voulu être six pieds sous terre. Je me dis que nous étions partis sur un mauvais pied et bien sûr elle s’en aperçut quand je ne réagissais pas à ses appels du pied.

     Alors, craignant me prendre les pieds dans le tapis, je lui dis « Attends, aujourd’hui, il est arrivé quelque chose… » Me coupant l’herbe sous le pied, elle m’a offert un grand sourire et en levant son verre, à pied, m’a lancé « À notre avenir ! » Là, j’avais le moral dans les chaussettes et pour lui montrer patte blanche, au moment où nous finissions nos pieds paquets, je lui avouais la vérité : que j’étais au pied du mur, que c’était l’occasion pour moi de lever le pied et que j’embarquerais dès le lendemain pour repartir du bon pied…

       Comme je n’avais pas le pied marin, à quelques miles de la côte (c’est comme quelques kilomètres, mais en plus mouillé), faisant un faux pas sur le pont, je tombai cul par-dessus tête, et pieds en dernier, amer, dans la mer (pardon Maman, je n’ai pas eu le temps de me mouiller la nuque). Forcément, mes jambes étant plus courtes que la quille du bateau, je m’aperçus que je n’avais pas pied (ou que je n’avais pas mon fond, comme disent nos amis suisses). Je sentais que j’avais un pied dans la tombe, oh… combien de marins, combien de capitaines se fracassent ainsi dans l’écume des jours, et vlan ! Merci Boris… et je perdis connaissance, mon carnet d’adresses étant resté sur le bateau.

     C’est échoué sur une plage paradisiaque que je revins à moi seul puisqu’il n’y avait personne d’autre. Je me demandais si j’étais vivant, quand je vis quand même approcher quelqu’un : c’était le fantôme de Robert Castel qui, aussi désorienté que moi, me demandait où était le bureau pour réclamer sa prime des rapatriés. Ce pied-noir, les pieds dans le sable, les yeux dans le haut, son rêve était trop beau… n’avait pas vieilli, toujours bon pied bon œil, même si les empreintes du pied-noir sur le sable blanc trahissaient un pied plat, ainsi que l’autre. Il m’invita à manger au seul restau du coin Chez Berthe au grand pied, où l’on servait les meilleurs pieds-de-mouton du paradis. La patronne qui, elle, n’avait pas le pied-bot mais plutôt de beaux pieds (pointure 38) nous proposa les fameux pieds-de-mouton, mais je préférai me rabattre sur un pied de cochon, (pointure 42).

       Jusque tard, Chez Berthe au grand pied, nous nous racontâmes nos pépins… Bref, comme Robert commençait à me casser les pieds (je lui aurais préféré la rousse, mais nous n’étions pas dans une librairie) je lui tournai les talons, et avisant une jument qui broutait du pied-d’alouette au pied de la dune, j’en profitai pour me remettre le pied à l’étrier.

       Retrouver mon chemin serait une autre paire de manches, mais bientôt, ainsi que bien tôt, mon réveille-matin sonna et je l’envoyai bouler au pied du lit, puis me levai… à pieds joints.