MOTS VOYAGEURS
À l'occasion de certains événements dont l'importance agite les rédactions tout autour du monde, certains mots s'introduisent soudainement dans notre vocabulaire. Je pense à deux exemples : le tsunami qui toucha l'île de Phuket en 2004 et les clusters permettant l'épanouissement du virus qui depuis quelques mois nous occupe, ou empêche nos occupations.
Le tsunami est une sorte définie de raz-de-marée. Ce qui me chagrine est le fait que, pris au sens figuré, ce tsunami venu d'Asie a balayé de façon débridée (si j'ose dire) notre raz-de-marée tricolore. On lit ou entend parler de tsunami de licenciements, de tsunami financier… Même une vague, sous la tentation habituelle du superlatif, devient un tsunami.
Cluster, encore un mot anglais qui vient substituer (ou tuer) notre foyer ou en l'occurrence foyer d'infection : notons que le mot cluster déjà d'origine anglaise figure dans nos dictionnaires avec une définition musicale (rien à voir…). Préférons notre foyer (home sweet home) dont le pouvoir d'infection n'est pas pire.
Ces mots d'origine étrangère nous parviennent à des vitesses de plus en plus rapides. Tels quels. Sans filtres. Sans explication. Ils sont satellisés. Ils nous sont bombardés, deviennent supersoniques, électro-magnétisés, fibroptiquisés, s'invitant et s'infiltrant chez nous par tous les moyens pour nous asservir plus que pour nous servir ; cautionnés sans réserve par la plupart des médias.
Dans quelque langue qu'il soit utilisé, pour être compris et assimilé, le mot doit avoir une histoire, son histoire. Après avoir grandi quelque part, il doit continuer sa vie en voyageant, en se transformant et en se colorant au fil de ses rencontres. Il peut ne pas aimer prendre l'avion ou se télétransporter, préférant faire de la voile ou aller à pied. Il peut arriver chez moi poussiéreux, fourbu, et frapper à la porte. Après son long voyage, j'attendrai encore un peu qu'il se repose puis je lui dirai « maintenant, raconte-moi ton histoire ». Ce mot-là, sûrement, je l'aimerai, et je l'adopterai.