Le jardin du sculpteur
LE JARDIN DU SCULPTEUR
En arrivant déjà, un sentiment de sérénité me gagne. C’est le mois de mai. Le soleil avive les couleurs. Ils sont là, séparés de quelques mètres, tous deux courbés dans leur jardin de fleurs. Il fait presque chaud. Elle porte un chapeau blanc qui dissimule son visage ; lui, une chemise à carreaux barrée de larges bretelles. À cette vue, je songe qu’un peintre impressionniste aurait été inspiré par le lieu et l’instant ; j’hésite à les interpeller ; je voudrais prolonger ce moment pour contempler la scène en silence, mais le vent, soufflant au travers des peupliers, me ramène à la réalité et je regrette de rompre le charme par ma voix.
Après avoir été accueillis, nous faisons ensemble le tour de la propriété. D’abord, par une trouée dans la haie, nos regards s’évadent vers un espace herbeux envahi de boutons-d’or, au milieu duquel un groupe de sculptures de pierre semble avoir jailli tout droit du sol pour défier le temps, comme une version moderne de l’Île de Pâques.
Puis par une petite porte, le sculpteur nous fait entrer dans un bâtiment qui lui sert d’atelier, et qui résonne aussitôt de nos pas et nos voix, comme une église, soulignant l’aspect sacré de son œuvre. L’espace libre au centre, nous permet d’abord d’embrasser du regard l’ensemble des sculptures qui trônent géométriquement au fond, tournées vers nous, comme si elles nous attendaient, et dont je ne sais si nous les voyons seulement, ou si elles nous regardent. Puis nous les approchons doucement, jusqu’à toucher la matière aux surfaces tantôt sciées et polies, tantôt heurtées. Nous faisons demi-tour, et la vue des outils, des machines, rangés sur les côtés, me rappelle que cet art est aussi un travail impitoyable, mais nécessaire, où la pierre de Soignies se transforme sous les mains de l’artiste selon un dessein qu’il est seul à connaître, jusqu’à se mettre à vivre. Créer, c’est enfanter.
Nous sortons du bâtiment et l’homme en referme soigneusement la porte derrière nous. À quelques pas, une femme de pierre nous attend sous un groupe d’arbres dont les troncs lui font une alcôve. Ses formes sont plus douces que celles des créatures précédentes. Elle semble plus sereine aussi. La regarder est apaisant. Elle a une taille humaine. Sa base est cachée par la végétation et un lierre grimpe sur son côté gauche, sorti du sol pour l’aimer, l’envahir de ses multiples membres et la retenir dans le plus beau des musées, là où la rencontre du minéral et du végétal sublime le travail de l’artiste.
Quand nous prenons congé après avoir dégusté un rafraîchissement, j’ai l’impression de quitter une île, un autre monde, où le temps s’est arrêté.
J’ai ajouté une jolie pièce dans le puzzle de ma mémoire, et je me sens bien.