Deux hommes qui marchent
DEUX HOMMES QUI MARCHENT
(Deux hommes marchent l’un derrière l’autre.)
« Vous allez arrêter de me suivre !
- Je ne vous suis pas, je marche derrière vous.
- Oui mais ça fait un moment que ça dure…
- Et alors, ça fait un moment que vous marchez devant moi, et je ne m’en plains pas !
(Silence)
- Vous m’agacez ! Je sens votre regard dans mon dos !
- Et pourquoi je vous regarderais marcher ? Pour qui vous prenez-vous ? Vous n’êtes pas le centre du monde.
(Silence)
- N’empêche, vous êtes louche… Où allez-vous d’abord ?
- Par-là… et puis… ça ne vous regarde pas.
- Ah vous voyez bien : par-là… par-là… c’est vague, vous ne savez même pas où vous allez !
- Je sais très bien où je vais. Est-ce je vous le demande à vous où vous allez ?
- Sachez, Monsieur, que j’ai un rendez-vous ; et je n’ai rien d’autre à vous dire.
(Silence)
- Vous avez une mauvaise démarche, vos semelles sont usées vers l’intérieur.
- Ah vous voyez que vous me regardez !
- C’est votre faute : vous faites tout pour attirer mon attention. Si vous n’êtes pas content, vous n’avez qu’à accélérer.
- Je suis sûr que si j’accélère vous prendrez un malin plaisir à en faire autant, vous êtes sadique !
- Et vous, paranoïaque !
- J’étais là avant et je marche comme je le veux ! Vous commencez à m’exaspérer ! Alors : ou vous ralentissez ou bien vous passez devant ! (Silence) Tiens, voilà qu’il pleut…
(Silence)
- Ah, vous avez un parapluie…
- Je suis prévoyant ; apparemment ça n’est pas votre cas… (Silence) Mais je ne vous laisserai pas le plaisir de m’accuser quand vous aurez attrapé froid : venez vous abriter.
- D’accord, et vous ne m’accuserez plus de vous suivre.
(Ils se rejoignent)
- Savez-vous pourquoi les baleines de parapluies s’appellent comme ça ?
- Pas du tout.
- Parce que les baleines des premiers parapluies étaient fabriquées à partir des fanons de baleines.
- Au moins j’aurai appris trois choses aujourd’hui.
- Et quelles sont les deux premières ?
- Que vous avez une mauvaise démarche et un foutu caractère.
- Vous n’allez pas recommencer à me chercher !
(Long silence)
- Moi c’est Michel.
- Pareil
- Quoi pareil ?
- Michel aussi.
- Non, vous me faites marcher … ?
- Oh, vous marchez bien sans moi.
- Zut alors, quelle coïncidence ! Mais j’arrive à mon rendez-vous… On dirait que c’est fermé…
- Ne vous inquiétez pas, j’ai la clef.
- Comment, vous êtes le podologue ?!
- Eh oui, il semble que je vais m’occuper de votre démarche. Entrez.
- Voilà ! J’avais raison ! Vous me suiviez !
- Entrez, je vous dis ! Attention : la marche ».