Dans mon Caddie (Chosification)
DANS MON CADDIE
Ce matin, j’ai fait mes courses. Quand je suis entré dans le magasin, une jeune dame qui souriait donnait à tout le monde un échantillon gratuit de politesse ; je me suis dit que c’était là une bonne façon de commencer la journée.
Je me dirigeai d’abord vers un rayon déjà encombré d’enfants, où je mis dans mon Caddie deux sachets de gourmandise, il n’en était écrit qu’un sur ma liste mais… vous savez ce que c’est. Pour compenser la chose, je pris plusieurs magnums de sobriété ; on en avait trois pour le prix de deux. En tête de gondole, deux dames empêchaient le passage avec leurs Caddies remplis de ragots, vendus en cartons de huit kilos, et elles parlaient, parlaient, jusqu’à ce qu’un monsieur à la figure toute rouge les bouscule pour aller prendre près de là une botte d’impatience. Une dame trop petite ne savait pas atteindre un paquet d’ingratitude, que je pus saisir et lui donner ; elle m’a regardé avec des yeux ronds, m’a ôté le paquet des mains, puis est partie sans dire un mot ; là j’aurais bien ouvert un aérosol de susceptibilité que j’avais pris à côté, et l’en aurais bien aspergée, mais je préférai m’intéresser aux doses de bonne humeur alignées sur un présentoir ; j’en choisis deux ou trois pour les jours de mauvais temps. Ensuite je pus goûter un peu de curiosité, présentée sur un plateau, mais n’en achetai finalement pas, la trouvant malsaine.
Je ne résistai pas à tourner dans le rayon des défauts pour y prendre quelques sacs d’égoïsme, que je cachai bien vite sous un lot de gentillesse, en réclame dans une allée voisine. Pour terminer mes courses, je gagnai l’espace que je préfère dans le magasin : on y trouve des rêves que les enfants feuillettent, assis par terre, en attendant leurs parents. J’y ai regardé les emballages de chance de toutes sortes, accrochés côte à côte mais, les trouvant trop chers, je me contentai de choisir un flacon d’espoir.
Il y avait du monde aux caisses, et en attendant mon tour, je regardais les autres clients, en remarquant combien nous pouvons être différents. Le monsieur qui me précédait avait un Caddie rempli d’éclectisme, et cela représentait beaucoup de travail pour l’hôtesse. À ma gauche, un client au chariot garni de convoitise détaillait du regard les achats qu’un autre déposait sur le tapis roulant : un étui de fierté, des bocaux de soupçons, des rouleaux de pudeur. De l’autre côté, un homme rouspétait sur la caissière parce qu’il manquait un code sur un pot de colère ; il lui disait qu’elle n’avait qu’à le compter au même prix que la rage qu’elle venait d’enregistrer, mais ça n’est pas la même chose. Plus loin, un monsieur à l’air jovial fit tomber une bouteille d’humour qui se brisa sur le carrelage ; plusieurs personnes furent atteintes par des éclats de rire.
A la sortie du magasin, la dame qui me précédait, surprise par le vent, vit s’envoler de son chariot une barquette de liberté. J’abandonnai un instant mon chargement d’allégories, pour lui porter secours En lui rendant son bien. Parmi ses emplettes se trouvaient un filet de patience, une boîte d’humilité, une grappe de calme. Trouvant ses achats à mon goût, je lui aurais bien échangé sa barquette de liberté contre un bouquet d’années, mais n’en avais pas acheté, les ayant trouvées trop courtes. Je lui proposai donc mon flacon d’espoir que j’ouvris pour elle ; je le humai… horreur ! Il y avait une erreur d’étiquetage ; il était rempli d’amnésie, et puis… je ne sais plus.